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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 23:11

Sites SEVESO et risques industiels : les défaillances de la loi Bachelot



« Pour Jacques Repussard, directeur de l’IRSN, la doctrine de la sûreté nucléaire doit être revue », ainsi était sous-titré un article paru dans « Le Monde » pour les deux ans de l’accident de Fukushima, le 11 mars 2013.

 

« La leçon essentielle, c’est qu’en matière d’accident nucléaire grave, la doctrine probabiliste qui a largement prévalu à la conception initiale des réacteurs, n’est plus acceptable par la société au regard de l’ampleur des conséquences pour les populations et les territoires. De facto, elle consistait à faire l’impasse sur les risques à très faible probabilité. Or même très improbable, un accident grave est possible. Même si elle est plus chère, l’approche déterministe aujourd’hui dominante en Europe et en France doit prévaloir.», commence Jacques Repussard.

 

« La sûreté n’est pas qu’une question de contrôle. Vous pouvez avoir la meilleure autorité de sûreté du monde, des installations parfaitement conformes à leur référentiel réglementaire, ça ne suffit pas à empêcher un accident. La sûreté est l’affaire de tous. L’ignorer est une forme de démission collective, et pour la société s’en remettre au seul contrôle, si indispensable soit-il, serait la recette d’un désastre futur », continue-t-il.

 

Parmi les cinq facteurs clés de l’avancée de la sûreté dans le nucléaire, il désigne « la vigilance de la société ». Et parmi les difficultés à surmonter, il désigne « le facteur humain, la sous-traitance, la maintenance et la gestion de crise ».

 

L’on voit donc par cet interview de Jacques Repussard que le nucléaire, remet en question une grande partie des axes stratégiques de sa culture industrielle.

 

A très peu de choses près, les énoncés de Jacques Repussard pour l’industrie nucléaire sont les énoncés que le collectif des sinistrés et victimes d’AZF « Plus jamais ça ni ici ni ailleurs » répète à qui veut bien les entendre, sur les risques industriels ordinaires,depuis de nombreuses années.

 

L’accident industriel de l’explosion du hangar 221 de l’usine Grande Paroisse de Toulouse s’est produite il y a plus de onze ans, et la remise en question des a priori de l’industrie du risque chimique n’a pas encore commencé. Malgré la condamnation en septembre 2012 de Grande Paroisse et du directeur de l’usine de Toulouse au tribunal correctionnel, et malgré la récente condamnation de l’état pour défaut de contrôle de l’industriel dans les années qui ont précédé l’explosion, l’industrie comme la loi ne semble pas avoir entendu ces verdicts.

 

A ce jour une majorité des PPRT autour des sites Seveso est terminée, mais la mise en œuvre des travaux de confortement ou de sécurisation des habitations ou des locaux industriels et terrtiaires s’avère plus que délicate : aucune norme n’existe dans le bâtiment à laquelle se référer, ce qui signifie clairement que chaque chantier devra être complètement encadré par des bureaux d’étude et des mises en oeuvre spécifiques, et que s’y dérouleront des travaux hors du cadre des savoir faire habituels, et surtout hors du cadre des assurances professionnelles.

 

De plus, ces travaux dont une partie du coût, dans le cadre de la loi de finances actuelle, resterait à la charge des propriétaires, sont censés protéger les usagers des locaux menacés par des accidents définis par des études de danger réalisées dans le cadre d’une approche probabiliste, c’est à dire mettant de côté les « accidents improbables » ou pour reprendre les termes officiels «les phénomènes dangereux extrèmements peu probables». Or comme on vient de le voir avec Jacques Repussard, l’improbabilité n’est pas synonyme d’impossibilité. Dans les cas d’accidents improbables, aucun renforcement ou aucun confinement ne peut être prévu et encore moins réalisés. Que se passera-t-il en cas d’accident improbable ?

Le diable se cache dans les détails paraît-il. Pour la loi Bachelot, de juillet 2003, bientôt dix ans après sa publication, les détails montrent déjà de nombreux endroits où le diable se cache.

 

Sur quoi repose ou comment se constitue la vigilance de la société, facteur clé selon Repussard, de l’avancée de la sûreté ? la loi a instauré des lieux de concertation, dans l’industrie à risque en général, mais comment les riverains des sites Seveso, aux avant-postes de la société, peuvent-ils avoir accès à l’information ou à la culture de ce qui se passe à l’intérieur de l’usine si le prétendu « secret industriel » continue à régner en maître sur la communication entre industriels, administration et population environnante ? Le jeu du chat et de la souris, meilleure métaphore de la situation la plus fréquente, peut-il produire autre chose que du quiproquo ?

 

Quant aux difficultés à surmonter, Jacques Repussard évoque le nucléaire, mais le verdict du procès d’AZF à Toulouse est exactement en phase avec son analyse. Des réformes ont-elles eu lieu dans l’enceinte des usines concernant « la sous-traitance, la maintenance et la gestion de crise » ? Si elles ont eu lieu, la loi n’en parle pas, et les industriels les taisent. Cependant, les syndicats de salariés pourraient avoir leur mot à dire désormais pendant les CHSCT, et un moyen plutôt efficace est à leur disposition : un directeur d’usine condamné à de la prison à Toulouse, voilà qui n’est pas banal ! Un alinéa du contrat de travail des directeurs d’usine Seveso est-il maintenant prévu et intitulé « En cas d’incarcération » ?

 

D’autre part, la cour d’appel du tribunal administratif de Bordeaux a condamné l’état pour la piètre qualité de son contrôle de l’usine AZF avant son explosion. Cela aussi n’est pas banal ! De ce côté également, des champs de réflexion en vue de la modification des pratiques s’ouvrent. Condamner l’état pour « perte de chance », c’est en effet inviter les fonctionnaires de la DREAL à migrer de la culture des moyens vers la culture des résultats ! Pas aussi évident qu’il paraît en première lecture….

 

Ces deux jugements, mis en lien avec l’entretien de Jacques Repussard pour le monde, mettent en évidence quatre déficiences de la loi « Bachelot » pour ce qui concerne les PPRT de zones Seveso : absence quasi-totale de moyens de la société pour exercer sa vigilance, absence quasi-totale d’informations sur ce qui se passe dans les usines, absence totale de normes de travaux de mise en sécurité, obstination de l’approche probabiliste pour les études de danger au détriment de l’approche déterministe.

 

Toulouse le 30 mars 2013



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