Madame la Présidente, mesdames les juges,
Je vous remercie de me donner la parole aujourd’hui. Je m’appelle Bianca de Larminat. J'ai 27 ans, je suis psychomotricienne et je suis partie civile dans ce procès. Le 21 septembre 2001, j’avais 11 ans. Je me rappelle très bien de ce jour, je rentrai en 6ème et à 10h17, le plafond de ma classe m'est tombé sur la tête, comme je me rappelle très bien d'autres journées marquantes qui ont suivies :
Le 19 novembre 2009, après avoir suivi le 1er procès, j’écoute le Président énoncer la liste interminable des fautes et manquements de l’industriel, et m’effondre complètement lorsque j’entends la décision de relaxe.
Le 24 septembre 2012, me voici de nouveau dans l’enceinte du tribunal. Le suspense est beaucoup moins intense qu’en 2009, les débats semblent avoir confirmé complètement qu’un accident chimique a eu lieu dans l’usine et j’accueille le verdict dans un grand soulagement. L’industriel écope d’une amende de 250 000 euros. Certes, cela ne représente que 2 minutes du bénéfice de Total, mais c’est néanmoins la peine maximale prévue pour un homicide involontaire. Le directeur écope d’une amende de 45 000 euros qui seront probablement payés par son employeur, mais également d’une peine de prison de 3 ans (dont 2 avec sursis) là encore, le maximum prévu par la loi.
A ce moment, je me dis « enfin », oui, enfin, la justice avec cette double condamnation adresse à tous les industriels qui privilégient les profits à la sécurité de leurs usines un signal clair et donne à tous les autres directeurs d’usine, la possibilité de dire NON à des demandes de réduction de crédit, de prise de risque, ou toutes autres pressions qui conduisent à économiser sur la sécurité des gens, salariés et riverains.
La semaine dernière, jeudi 27 avril 2017, j’entends le représentant de TOTAL nous raconter en personne comment Total, un des premiers groupes pétrochimique mondiaux, a mis à disposition de sa filiale tous les moyens humains, avec les meilleurs techniciens et experts dans ces domaines, tous les moyens matériels et techniques possibles pour découvrir la vérité sur la catastrophe, et au final, combien il était « déçu », ce sont ces mots, de ne pas avoir trouver d’explication à cette énorme catastrophe. Il est déçu, mais moi je suis profondément inquiète d'entendre tous ces ingénieurs et hauts responsables qui sont venus à la barre et ont mis tout leur talent dans la rechercher de la vérité, nous expliquer comment ils n'ont rien trouvé, rien vu d'anormal ni dans l'organisation de l'usine ni dans la gestion des déchets, ni dans les hangars 335 et 221, aucune défaillance industrielle.
Et quelques minutes plus tard, sans transition, j’entends M. Grasset expliquer comment, en 2003, l’industriel crée une nouvelle société, GPN, pour gérer les « actifs » de Grande Paroisse. Alors qu’il ne peut pas expliquer l’explosion d’AZF qui a fait 31 morts et des milliers de blessés, Total n’a pas peur de poursuivre l’exploitation de 2 usines déjà existantes et de prendre le risque de la sécurité des salariés et des riverains . Il me semble pourtant que c’est la définition de la folie que d’essayer encore et encore la même chose en attendant un résultat différent…Ces mêmes experts ont quand même tenté, lors de ce 3ème procès, de développer une nouvelle piste : celle de la nitrocellulose. Ils oublient juste que c’est Grande Paroisse et TOTAL qui ont piloté les opérations de dépollution du site. Qu’à aucun moment, les entreprises en charge du travail n’ont trouvé de bandelette, ni de cartouche de cette poudre B malgré les 24000m² de terre excavées, lavées, criblées ou brulées. Et qu’il semble tout à fait impossible que ce « polluant » ait pu migrer sur plus d’un kilomètre (la distance entre les ballastières et le hangar 221) sans laisser de trace sur son chemin.
Tous les rapports d’étape fournis à la Préfecture en attestent : ce produit n’a jamais été retrouvé sur le site pendant les 2 années de dépollution pyrotechnique et chimique.
Je pense, Madame la Présidente, que si 15 ans après la société Total est toujours dans l'incapacité de savoir ce qui s'est passé, alors, pour la sécurité de tous les riverains de leurs usines, il faut leur retirer l'autorisation d'exploiter ces usines.
Tous les éléments du dossier judiciaire montrent que ce sont les défaillances de l’industriel qui ont mené à cette catastrophe. Pour moi Madame la Présidente, une condamnation par la cour de Total, Grande Paroisse et de son Directeur a 2 rôle à remplir, d'abord de justice ; Il est normal que Mr Bichelin et GP assument leur part de responsabilité dans cet accident, mais il ne sont pas les seuls, n’oublions pas que c’est TOTAL qui tire les ficelles et impose les mesures à mettre en place.
La condamnation doit remplir également un rôle de plus grande responsabilisation des industriels et des dirigeants et garantir ainsi plus de sécurité pour les salariés et les riverains.
Mesdames les juges, ce que je viens vous dire aujourd’hui, c’est que j’espère sincèrement que la catastrophe d’AZF n’aura pas été une catastrophe pour rien !